
Söderberg A, Thelandersson A, Fagevik Olsén M, Karlsson V. "I will get out of this" - The patients' experiences of early mobilisation in intensive care. A hermeneutic study. Intensive Crit Care Nurs. 2025 Feb;86:103884. doi: 10.1016/j.iccn.2024.103884. Epub 2024 Nov 4. PMID: 39500107.
Question évaluée
Cette étude vise à explorer l’expérience vécue de la mobilisation précoce par les patients ayant séjourné en réanimation. L’objectif est de mieux comprendre les significations qu’ils attribuent à ces moments de mobilisation, afin d’identifier les leviers et les freins à une réhabilitation efficace dès la phase critique.
Type d’étude
Il s’agit d’une étude qualitative menée dans deux unités de soins critiques suédoises, auprès de 30 patients admis en urgence (17 pour pathologie médicale, 13 pour pathologie chirurgicale).
Méthode
Il s’agit d’une étude qualitative fondée sur une approche herméneutique-interprétative, réalisée dans deux unités de soins critiques situées dans le sud de la Suède. Trente patients adultes, hospitalisés en urgence (17 pour pathologie médicale, 13 pour complications post-chirurgicales), ont été inclus.
L’approche herméneutique-interprétative, issue des sciences humaines, vise à comprendre le sens que les individus attribuent à leur expérience, en tenant compte du contexte, des perceptions subjectives et des interactions vécues. Elle repose sur un va-et-vient constant entre les discours des participants, les représentations initiales des chercheurs et l'interprétation construite au fil de l’analyse. Cette méthode permet de faire émerger des significations profondes, en dépassant la simple description factuelle.
Les entretiens semi-directifs ont été menés de manière individuelle, une à deux semaines après la sortie de réanimation, dans les services d’aval. Leur durée moyenne était de 29 minutes. Ils ont été intégralement retranscrits par le premier auteur. L’analyse a été réalisée de manière manuelle, sans logiciel dédié, mais avec une lecture croisée par les auteurs afin de favoriser la triangulation des interprétations et d’enrichir la validité des résultats.
Résultats essentiels
Trois thèmes majeurs émergent de l’analyse des entretiens, révélant la complexité et la richesse du vécu des patients lors de la mobilisation précoce en réanimation :
- Un combat pour retrouver son autonomie et une vie normale
Les patients décrivent la mobilisation précoce comme une expérience ambivalente, marquée par l’effort, la faiblesse, la fatigue et un sentiment de perte de contrôle. Certains expriment une réticence initiale, notamment liée à l’intensité physique demandée.
Cependant, malgré ces ressentis, la mobilisation est globalement perçue de manière positive. Être mobilisé – ne serait-ce que pour passer du lit au fauteuil – est vécu comme un retour à une certaine normalité. Le fauteuil est perçu comme un espace plus valorisant que le lit, souvent associé à la passivité, voire à l’enfermement. Cette posture permet aux patients de mieux percevoir leurs capacités, de reprendre confiance, et d’entrevoir un chemin vers le rétablissement. Pour beaucoup, cela contribue à restaurer l’estime de soi.
- Le rôle central de la relation avec les soignants
Les interactions avec les professionnels de santé apparaissent comme un déterminant essentiel du vécu de la mobilisation. Plusieurs facteurs sont identifiés par les patients comme facilitateurs : se sentir informé et impliqué dans le processus, être encouragé de manière répétée (parfois vécue comme une forme de « harcèlement bienveillant »), pouvoir exprimer son rythme et ses limites, et être respecté dans ses ressentis.
La qualité de la relation humaine – écoute, réassurance, empathie, humour, attention aux détails (douleur, pudeur, inconfort) – est également soulignée. Les patients se sentent valorisés par de petites attentions et reconnaissent le rôle fondamental de la sécurité relationnelle dans leur engagement dans la mobilisation.
Enfin, la cohésion de l’équipe soignante, perçue à travers les interactions entre les professionnels, influence également positivement leur expérience.
- Un contexte de confusion, d’altération cognitive et de perte de repères
La mobilisation précoce intervient dans un moment de grande vulnérabilité. De nombreux patients évoquent une confusion majeure, une désorientation spatio-temporelle, voire une difficulté à distinguer le rêve de la réalité. Les hallucinations, les cauchemars, la faiblesse physique, les troubles respiratoires ou de la parole participent à une sensation d’aliénation.
Malgré ce contexte, la mobilisation précoce reste possible et peut être vécue positivement si elle est accompagnée avec tact, patience et adaptation par les soignants.
Commentaires
Cette étude propose un éclairage original sur la mobilisation précoce, en adoptant un point de vue encore peu exploré dans la littérature : celui des patients eux-mêmes. Elle met en évidence la manière dont les patients vivent cette mobilisation au-delà des seules dimensions biomédicales ou fonctionnelles, en la reliant à des enjeux identitaires, relationnels et existentiels.
L’étude rappelle que la réhabilitation précoce ne peut être réduite à une prescription technique. Elle est vécue dans un contexte de grande vulnérabilité physique et cognitive, où les patients sont confrontés à la fatigue extrême, à la perte de contrôle sur leur corps, à la confusion mentale, voire à des expériences hallucinatoires. Dans ce contexte, la manière dont les soignants accompagnent ces moments devient déterminante : l’écoute, la réassurance, le respect du rythme et des ressentis du patient, mais aussi la capacité à motiver et à engager, apparaissent comme des leviers puissants d’adhésion à la mobilisation.
En ce sens, cette étude conforte l’importance de l’alliance thérapeutique en réanimation, même dans les phases aiguës du soin. Elle fait écho aux travaux de Knutsen et al., qui soulignent que la qualité de la relation infirmier-patient influence directement la participation du patient à sa propre réhabilitation (1). Elle rejoint également les observations de Corner et al. (2019), selon lesquelles la mobilisation peut être perçue comme un signal de rétablissement, dès lors qu’elle est accompagnée avec humanité et clarté (2).
En adoptant une démarche qualitative rigoureuse, l’étude met aussi en évidence le besoin de personnaliser les stratégies de mobilisation, en tenant compte des ressources cognitives et émotionnelles du patient. Elle souligne le rôle de la sécurité relationnelle comme condition préalable à l’acceptation de l’effort.
Enfin, cette recherche interroge indirectement les organisations de soins. Elle invite à réfléchir aux conditions pratiques de mise en œuvre de la mobilisation précoce : charge en soins, formation des équipes, culture de service autour du projet de réhabilitation, articulation entre professionnels (infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, médecins). Le vécu positif des patients suppose un environnement soignant coordonné, attentif et disponible.
Points forts
Approche méthodologique solide : l’étude repose sur une méthode qualitative rigoureuse, avec une saturation des données atteinte, garantissant une diversité des expériences recueillies.
Triangulation des analyses : l’implication de plusieurs auteurs dans l’interprétation des données permet de renforcer la validité et la richesse des résultats par la confrontation de points de vue complémentaires.
Thématique peu explorée : le choix de centrer l’analyse sur le ressenti des patients concernant la mobilisation précoce constitue une réelle valeur ajoutée dans un champ encore largement dominé par des approches biomédicales ou centrées sur les professionnels.
Points faibles
Risque de biais de mémoire : les entretiens étant réalisés une à deux semaines après la sortie de réanimation, certains éléments d’expérience peuvent avoir été altérés ou reconstruits par les patients, affectant la fidélité du récit.
Biais de sélection potentiel : les patients ayant accepté de participer à l’étude sont possiblement ceux ayant vécu une mobilisation positive ou ayant retrouvé une autonomie suffisante pour témoigner, ce qui peut limiter la représentativité des résultats.
Manque d’informations contextuelles : l’étude ne fournit pas de détails sur les conditions de mise en œuvre de la mobilisation précoce (ressources humaines, formation des équipes, niveau de charge en soins), ce qui limite la transférabilité des conclusions à d’autres contextes cliniques.
Implications et conclusions
Cette étude apporte un éclairage original en intégrant le point de vue des patients sur la réhabilitation précoce en réanimation, un aspect encore peu exploré dans la littérature. Les émotions et sensations négatives rapportées par les patients dans ce contexte déstabilisant des soins critiques — telles que la perte de mémoire, les hallucinations et la faiblesse — sont en cohérence avec les résultats d’autres recherches (2).
Il en ressort que l’alliance thérapeutique entre les professionnels de santé et le patient constitue un facteur clé dans la mise en œuvre efficace de la réhabilitation précoce. Cette conclusion converge avec celle de Knutsen et al.., qui soulignent l’importance des interactions entre infirmier(ère) et patient (1). Ces échanges peuvent offrir au patient la sensation d’être reconnu, en sécurité, tout en contribuant à renforcer sa motivation.
La confiance envers les professionnels de santé, ainsi que l’humanisation des soins, apparaissent également comme des composantes majeures pour le succès de la réhabilitation précoce, conformément aux observations de Corner EJ et al (2).
Enfin, cette étude invite à considérer la réhabilitation précoce comme le point de départ du processus global de rétablissement chez certains patients.
La confrontation de ces données, issues des perceptions des patients, avec d’autres travaux portant sur les barrières à la réhabilitation précoce et les stratégies d’amélioration possibles, offre ainsi un nouvel angle d’analyse enrichissant la compréhension de cette phase critique du parcours de soin (3,4) .
Références citées dans les commentaires
- Knutsen K, Solbakken R, Gallagher S, Müller RT, Normann B. Patients’ experiences with early rehabilitation in intensive care units: A qualitative study about aspects that influence their participation. J Adv Nurs. mai 2024;80(5):1984‑96.
- Corner EJ, Murray EJ, Brett SJ. Qualitative, grounded theory exploration of patients’ experience of early mobilisation, rehabilitation and recovery after critical illness. BMJ Open. 24 févr 2019;9(2):e026348.
- Hodgson CL, Schaller SJ, Nydahl P, Timenetsky KT, Needham DM. Ten strategies to optimize early mobilization and rehabilitation in intensive care. Crit Care. 3 sept 2021;25(1):324.
- Alaparthi GK, Gatty A, Samuel SR, Amaravadi SK. Effectiveness, Safety, and Barriers to Early Mobilization in the Intensive Care Unit. Crit Care Res Pract. 2020;2020:7840743.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Article Commenté par : le Dr Vivien Guillotin, Réanimation médicale, CHU de Bordeaux, France.
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