Reprise du travail en post réanimation : un dur labeur à accomplir.

12/09/2025
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Hellmann SS, Estrup S, Poulsen LM, Gøgenur I, Mathiesen O, Thygesen LC. Do Danish ICU Survivors Remain Employed After ICU Discharge? A Register-Based Longitudinal Cohort Study. Crit Care Med. 2025 Feb 1;53(2):e308-e319. doi: 10.1097/CCM.0000000000006513. Epub 2024 Nov 25. PMID: 39982828.

Texte
Question évaluée 

Explorer l’impact d’une admission en réanimation sur l’emploi, le chômage et le décès chez les patients survivants à un séjour en réanimation

Type d’étude 

Étude de cohorte longitudinale observationnelle Danoise. 

Population étudiée 

Patients adultes danois, actifs, âgés de 25 à 67 ans et survivants à un séjour en réanimation. 

Méthode 

L’étude porte sur une population de citoyens danois admis en réanimation entre 2010 et 2018. Les survivants de la réanimation ont été identifiés par une recherche exhaustive du code « entrée en réanimation » dans le Registre National des Patients Danois. 

Les patients âgés de 25 à 67 ans, admis en urgence en réanimation pour une durée de plus de 4h et en vie à la sortie de réanimation ont été appariés en 1:1 sur le sexe et l’âge avec des citoyens Danois de référence, c’est-à-dire n’ayant jamais été admis en réanimation. 

Les paires formées de patients survivant-référence ayant un emploi 16 semaines avant l’admission en réanimation étaient inclus dans l’analyse. L’étude actuelle prend en compte les paires formées entre 2010 et le 31 décembre 2018. 

Les informations concernant le statut professionnel des patients étaient obtenues de manière hebdomadaire en consultant le registre danois DREAM (Danish Register-Based Evaluation and Marginalization Database). Les données ont été recueillies sur une période allant de 16 semaines précédant l’admission jusqu’à 52 semaines après la sortie de réanimation. Les citoyens étaient répartis selon les cinq catégories professionnelles suivantes : employé ; retraité ; retraite anticipée ; arrêt maladie ; autre (aides sociales diverses). Les informations sur le statut vital étaient obtenues en exploitant le registre civil danois jusqu’ au 31 Décembre 2019. 

Les informations sur le sexe, la date de naissance, l’origine ethnique, le statut marital, le lieu de résidence, le niveau éducatif, ainsi que les comorbidités (exprimées selon le Charlson Comorbidity Index) à l’entrée en réanimation étaient aussi recueillis. 

Résultats essentiels 

L’étude à inclus 16 284 patients survivants à la réanimation et 16 284 sujets appariés sur l’âge et le sexe issu de la population de référence. 

L’âge moyen des survivants était de 49,2 ans. La plupart étaient des hommes (65,4%) d’origine danoise (90,7%) vivant en couple ou maritalement (57,3%). La distribution était similaire pour les sujets références, cependant on notait une proportion moindre de survivants ayant un niveau éducatif élevé (25,3% vs 31,8%). De plus, les survivants étaient plus comorbides (53,8% vs. 9,6%) en comparaison à la population de référence. 

En post réanimation, la proportion de patients survivants ayant repris le travail augmentait au cours du temps. Elle allait d’environ 30% entre 2 et 8 semaines, 40% à 16 semaines, 51% à 32 semaines et 56% à 52 semaines de la sortie de réanimation. Une proportion stable de 90-95% de personnes travaillant était retrouvée dans la population de référence sur la même période. 

Parmi les motifs de non reprise du travail, la principale cause était l’arrêt maladie. Mais sa proportion diminuait au cours de l’année qui suivait la sortie de réanimation, passant de 55% à 20% en comparaison à une proportion stable de 2% dans la population de référence. A l’inverse, la proportion de retraite anticipée augmentait au cours du temps (de 0,2% à 2,1%), tout comme la proportion de patients décédés (de 9% à 12%) alors qu’elle était stable et < 0,1% dans la population de référence.

A 52 semaines, le taux de survivants ayant repris le travail était moindre chez les sujets les plus âgés (52% des 59-63 ans vs 63% des 25-42 ans). La présence d’une ou plusieurs comorbidités en pré réanimation était aussi un facteur péjoratif sur la reprise du travail : en effet, le taux de patient ayant repris le travail à 52 semaines était de 64% pour les patients sans aucune comorbidité, c’est-à-dire un Charlson Comorbidity Index Score (CCIS) égal à 0. Il diminuait à 53% pour un CCIS=1-2 et était de seulement 37% pour un CCIS > 2. Les patients comorbides avaient également plus de risque d’être en arrêt maladie, en retraite anticipé ou de décéder sur cette même période.

En analyse multivariée, l’admission en réanimation était fortement associée au risque de retraite anticipée (csHR 16.12; 95% CI, 9.49–27.39) et d’arrêt de travail (csHR, 5.61; 95% CI, 5.38–5.84) en comparaison à la population de référence. Ces données étaient également confirmées après ajustement sur les facteurs de risque compétitifs. 

Commentaires 

En post réanimation, plus de 60% des patients présenteront un syndrome post réanimation (PICS). Il est défini par l’apparition ou l’aggravation de symptômes d’ordres physiques, psychologiques, ou neurocognitifs et s’accompagne d’une altération de la qualité de vie et de difficultés de retour aux activités antérieures. 

Cette étude de cohorte longitudinale confirme les difficultés de reprise du travail chez ces patients. A 1 an, seulement 56% d’entre eux ont repris le travail. Les patients restants étant soit encore en arrêt maladie, en retraite anticipée ou décédés. Ces chiffres sont superposables aux données de la littérature qui estiment qu’environ 50% et 60% des patients respectivement ne sont plus en activité à 1 an et 5 ans post réanimation (2–4). 

Cette étude met également en évidence deux facteurs de risque de non reprise du travail : l’âge avancé et la présence de comorbidités à l’admission. Ce dernier était déjà identifié comme un facteur de risque de mortalité à 1 an (5). Malheureusement, ces facteurs de risque ne sont pas modifiables. Certains facteurs survenant en réanimation, non explorés ici, tels que la faiblesse musculaire acquise en réanimation ou de délirium, constituent des facteurs potentiellement modifiables dont la prise en charge pourrait améliorer le devenir des patients en post réanimation.

La HAS recommande de « proposer à titre systématique, chez les patients identifiés comme à risque de développer un PICS, une évaluation clinique structurée et répétée dans le temps, visant à dépister l’apparition de symptômes de PICS » (6). Ce suivi pluridisciplinaire doit favoriser la réinsertion des patients dans un parcours de soins adapté, et leur accompagnement jusqu’à la reprise de leur activité professionnelle. Cependant, une telle prise en charge doit encore prouver son efficacité et reste encore à optimiser (7). 

Points forts 

- étude de cohorte longitudinale de grand effectif (16 284 patients)

- analyse statistique robuste multivariée, après appariement en 1:1 selon l’âge et le sexe, prise en compte des facteurs de risque compétitifs par un modèle approprié. 

Points faibles 

- pas de conclusion causale possible

- résultat difficilement extrapolables à d’autres pays car étude réalisée au Danemark, pays doté d’un système de santé permettant une prise en charge totale des soins. Ceci s’accompagne d’un taux de reprise du travail plus important que dans les pays à faible protection sociale (3)

- elle ne permet pas d’étudier l’impact des comorbidités psychiatriques (non comprises dans le CCIS) qui sont un facteur de risque connu de PICS

- pas de donnée sur la gravité et le nombre de défaillances au cours du séjour, ni sur le suivi post réanimation dont ont bénéficié les patients

- pas de donnée sur les causes de non reprise du travail 

Implications et conclusions :


Cette étude confirme les difficultés de retour au travail chez les patients survivant à la réanimation sans pour autant permettre d’identifier des facteurs de risque modifiables. Il est nécessaire de proposer un accompagnement pluridisciplinaire à ces patients afin d’améliorer leur état de santé et qualité de vie en post réanimation, et de favoriser la reprise de leur activité professionnelle. 


Références citées dans les commentaires

  1. Estrup S, Thygesen LC, Poulsen LM, Gøgenur I, Mathiesen O. Health care use before and after intensive care unit admission-A nationwide register-based study. Acta Anaesthesiol Scand. mars 2021;65(3):381‑9.
  2. McPeake J, Mikkelsen ME, Quasim T, Hibbert E, Cannon P, Shaw M, et al. Return to Employment after Critical Illness and Its Association with Psychosocial Outcomes. A Systematic Review and Meta-Analysis. Ann Am Thorac Soc. oct 2019;16(10):1304‑11.
  3. Su H, Dreesmann NJ, Hough CL, Bridges E, Thompson HJ. Factors associated with employment outcome after critical illness: Systematic review, meta-analysis, and meta-regression. J Adv Nurs. févr 2021;77(2):653‑63.
  4. Unoki T, Kitayama M, Sakuramoto H, Ouchi A, Kuribara T, Yamaguchi T, et al. Employment status and its associated factors for patients 12 months after intensive care: Secondary analysis of the SMAP-HoPe study. PLoS One. 2022;17(3):e0263441.
  5. Gayat E, Cariou A, Deye N, Vieillard-Baron A, Jaber S, Damoisel C, et al. Determinants of long-term outcome in ICU survivors: results from the FROG-ICU study. Crit Care. 18 janv 2018;22(1):8.
  6. Haute Autorité de Santé [Internet]. [cité 12 avr 2025]. Diagnostic et prise en charge des patients adultes avec un syndrome post-réanimation (PICS) et de leur entourage. Disponible sur: https://www.has-sante.fr/jcms/p_3312530/fr/diagnostic-et-prise-en-charge-des-patients-adultes-avec-un-syndrome-post-reanimation-pics-et-de-leur-entourage
  7. Sharshar T, Grimaldi-Bensouda L, Siami S, Cariou A, Salah AB, Kalfon P, et al. A randomized clinical trial to evaluate the effect of post-intensive care multidisciplinary consultations on mortality and the quality of life at 1 year. Intensive Care Med. mai 2024;50(5):665‑77. 

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article Commenté par : le Dr Vivien Guillotin, Réanimation médicale, CHU de Bordeaux, France. 

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