Impact de l’utilisation de matériaux innovants sur les complications liées aux cathéters : qui s’y frotte s’y PICC

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Ullman AJ, August D, Kleidon TM, Walker RM, Marsh N, Bulmer AC, Pearch B, Runnegar N, Leema J, Lee-Archer P, Biles C, Gibson V, Royle R, Southam K, Byrnes J, Chopra V, Coulthard A, Mollee P, Rickard CM, Harris PNA, Ware RS. A Comparison of Peripherally Inserted Central Catheter Materials. N Engl J Med. 2025 Jan 9;392(2):161-172. doi: 10.1056/NEJMoa2406815. PMID: 39778170.

Texte
Question évaluée 

L’utilisation de matériaux innovants (ici polymères fluorés hydrophobes) ou de PICC imprégnés de chlorhexidine prévient-elle la dysfonction du cathéter par rapport aux PICC standard en polyuréthane ? 

Type d’étude 

Essai clinique de supériorité, randomisé, ouvert, multicentrique, pragmatique, en groupes parallèles. 

Population étudiée 

Patients (adultes ou enfants), nécessitant la pose d’un PICC et ayant des veines d’un calibre suffisant pour la pose d’un PICC de diamètre de 4.0 French. 

Les patients étaient exclus en cas d’inclusion préalable dans l’essai (pose antérieure d’un PICC), s’ils présentaient une bactériémie liée au cathéter (BLC) au moment de l’inclusion, s’ils présentaient une thrombose veineuse au niveau du site d’insertion prévu, en cas d’antécédent allergique à un des produits utilités, s’ils étaient hospitalisés pour une infection à SARS-CoV 2, ou s’ils ne parlaient pas anglais (en l’absence d’interprète). 

Méthode 

Les participants étaient randomisés en trois groupes, selon un ratio 1:1:1 entre PICC standard en polyuréthane, PICC hydrophobe (BioFlo PICC, Spectrum Vascular) ou PICC imprégné de chlorhexidine (Arrowg+ard Blue Advance, Teleflex). La randomisation était centralisée, en blocs aléatoires et stratifiée sur le centre et le risque de thrombose (évalué selon le score de Michigan pour les adultes ou selon la présence d’antécédents oncologiques ou thrombotiques pour les enfants). 

Le praticien et le patient connaissaient le type de PICC utilisé, et l’évaluation de la survenue de dysfonction du PICC ainsi que l’analyse des données se faisait par contre en aveugle. 

Le critère de jugement principal était la dysfonction du PICC, définie comme un composite de complications infectieuses ou non jugées suffisamment sévères pour empêcher le fonctionnement du PICC ou nécessiter son ablation avant l’échéance attendue. 

Les complications non infectieuses comprenaient la thrombose veineuse symptomatique confirmée en imagerie, la rupture ou l’occlusion du PICC. Cette dernière pouvait être complète (voie bouchée) ou partielle (difficultés à aspirer ou injecter, nécessitant l’utilisation de thérapeutiques thrombolytiques). 

Les complications infectieuses comprenaient la BLC ou l’infection localisée. 

Les critères de jugement secondaires étaient la survenue de toute complication au cours de l’utilisation du PICC ; sa durée d’utilisation ; la satisfaction du praticien insérant le PICC et du patient, à l’insertion et à la fin de l’essai ; les QALIs (quality-adjusted life year) et la survenue d’évènements indésirables (incluant l’allergie, la douleur et le décès). 

Résultats essentiels 

Au total, 1 098 participants ont été inclus entre septembre 2019 et décembre 2022 (365 dans le groupe PICC hydrophobe, 365 dans le groupe PICC imprégné de chlorhexidine et 368 dans le groupe standard). Parmi eux, 178 (16.2 %) étaient des enfants. La plupart des patients étaient des patients d’oncohématologie (37.8 %), suivis de patients chirurgicaux (33.4 %). Le site le plus utilisé pour l’insertion était la veine basilique (85.0 % des patients). Le risque thrombotique était jugé élevé chez 65.5 % des adultes et 17.4 % des enfants. 

Un total de 79 (7.2 %) dysfonctions de PICC ont été identifiées : 21/358 (5.9 %) dans le groupe PICC hydrophobe, 36/363 (9.9 %) dans le groupe PICC imprégné de chlorhexidine et 22/359 (6.1 %) dans le groupe standard. La différence entre les groupes n’était pas significative (rapport de cotes (RC) 0.96, IC 95 % [0.51-1.78] pour le groupe PICC hydrophobe par rapport au groupe standard et RC 1.71, IC 95 % [0.98-2.99] pour le groupe PICC imprégné de chlorhexidine par rapport au groupe standard). 

Concernant les critères de jugement secondaires, on note significativement plus d’occlusions dans le groupe PICC imprégné de chlorhexidine par rapport au groupe standard (RC 6.50, IC 95 % [2.22-19.01]). Cette différence significative se retrouvait pour les occlusions complètes et partielles. 

Il y avait significativement moins de thromboses dans le groupe PICC hydrophobe par rapport au groupe standard (3.1 % vs 6.4 %, RC 0.46, IC 95 % [0.22-0.96]). 

On ne note par contre pas de différence significative entre les groupes concernant les complications infectieuses. Les PICC standard étaient laissés en place plus longtemps que les PICC hydrophobes (différence non significative avec les PICC imprégnés de chlorhexidine). 

Commentaires 


Dans cette étude, l’utilisation de matériaux innovants ne diminuait pas le risque de dysfonction du PICC en lien avec des complications infectieuses ou non infectieuses. Les PICC hydrophobes semblaient diminuer le taux de thromboses, alors que les PICC imprégnés de chlorhexidine étaient associés à plus d’occlusions. 

Il n’existe pas de recommandations concernant le choix des matériaux pour les PICC. Pour les cathéters veineux centraux, les recommandations françaises ne préconisent pas l’utilisation routinière des cathéters imprégnés de chlorhexidine en prévention de la BLC [1]. Les recommandations américaines quant à elles, réservent leur utilisation aux situations à risque élevé de BLC [2]. Ces recommandations ne s’appliquent par contre pas à la prévention du risque thrombotique. 

Points forts 
  • Il faut souligner le travail de grande ampleur, multicentrique avec un nombre conséquent de sujets inclus. Par ailleurs, le suivi est prolongé, avec peu de perdus de vue. 

  • A l’ère de la diminution des complications infectieuses liées aux cathéters veineux centraux, l’intérêt porté aux mesures potentielles de prévention des thromboses liées aux cathéters est justifié. Le choix du critère de jugement principal, prenant en compte la thrombose et l’occlusion du cathéter est en ce sens intéressant et original. 

  • On peut également saluer la publication de cette étude dans laquelle faire plus innovant n’est pas faire mieux. 

Points faibles 
  • Le critère de jugement principal, bien que pertinent, reste subjectif, l’indication de retrait du PICC étant laissée à l’appréciation des praticiens, ce qui peut entraîner un biais malgré une évaluation en aveugle. 

  • Par ailleurs, son caractère composite met sur le même plan des complications ayant des implications potentiellement différentes : il est ainsi plus grave de présenter une thrombophlébite septique qu’une simple occlusion d’une voie du cathéter, les deux conduisant au retrait du PICC. De manière étonnante, bien que l’effet soit statistiquement non significatif, il y a une discordance entre les effect sizes du matériau sur la thrombose et sur l’occlusion (< 1.0 pour la thrombose et > 1.0 pour l’occlusion, que ce soit pour les PICC hydrophobes ou imprégnés de chlorhexidine vs les PICC standard).  

  • L’étude a potentiellement souffert de la période d’inclusion, incluant la période de la pandémie de Covid-19, pouvant avoir été responsable d’un moindre recours aux soins. Lors de la pandémie, il a été décrit une tendance à l’augmentation des infections nosocomiales (dont les CLABSI), pouvant avoir impacté les résultats [3-4].  

  • Les critères de jugement secondaires sont nombreux, et il n’a pas été réalisé d’ajustement pour les tests multiples, rendant délicate l’interprétation de ces derniers, notamment en ce qui concerne la différence de survenue de thromboses entre les PICC standard et les PICC hydrophobes. 

  • La population étudiée (adultes/enfants, et indications du PICC) est hétérogène et diffère de nos populations de réanimation. Enfin, les durées d’expositions diffèrent entre les groupes, avec une durée significativement plus longue pour les PICC standards, ce qui peut avoir impacté le critère de jugement principal.

  • Enfin, pour l'évaluation du critère composite de jugement principal concernant les thromboses, nous pouvons regretter que l'échographie n'ait pas été réalisée de façon

    systématique chez tous les patients.

Implications et conclusions 

Le rationnel de l’utilisation de matériaux innovants pour réduire les complications, notamment thrombotiques, chez les patients porteurs d’un abord vasculaire prolongé (PICC, midline ou CVC) mériterait des études complémentaires, avec un focus particulier sur nos patients de réanimation. 


Références cités dans les commentaires :

  1. Timsit, JF., Baleine, J., Bernard, L. et al. Expert consensus-based clinical practice guidelines management of intravascular catheters in the intensive care unit. Ann. Intensive Care 10, 118 (2020). https://doi.org/10.1186/s13613-020-00713-4

  2. Buetti N, Marschall J, Drees M, et al.  Strategies to prevent central line-associated bloodstream infections in acute-care hospitals: 2022 Update. Infect Control Hosp Epidemiol. 2022 May;43(5):553-569. doi: 10.1017/ice.2022.87. Epub 2022 Apr 19. PMID: 35437133; PMCID: PMC9096710.

  3. Patel PR, Weiner-Lastinger LM, Dudeck MA, et al.  Impact of COVID-19 pandemic on central-line-associated bloodstream infections during the early months of 2020, National Healthcare Safety Network. Infect Control Hosp Epidemiol. 2022 Jun;43(6):790-793. doi: 10.1017/ice.2021.108. Epub 2021 Mar 15. PMID: 33719981; PMCID: PMC8047389.
  4. LeRose J, Sandhu A, Polistico J, Ellsworth J, et al. The impact of coronavirus disease 2019 (COVID-19) response on central-line-associated bloodstream infections and blood culture contamination rates at a tertiary-care center in the Greater Detroit area. Infect Control Hosp Epidemiol. 2021 Aug;42(8):997-1000. doi: 10.1017/ice.2020.1335. Epub 2020 Nov 20. PMID: 33213553; PMCID: PMC8185425


CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par : Jeanne Iachkine, Médecine Intensive Réanimation, CHU Caen  et Jean-Jacques Parienti, Direction de la Recherche Clinique et de l’Innovation, CHU Caen 

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Voir les déclarations de conflits d'intérêt (titre cliquable): Jeanne Iachine et jean-jacques Parienti

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