"Nouveaux horizons pour l'évaluation des troubles de la conscience : la dissociation cognitive motrice révélée par IRM fonctionnelle et EEG"

14/02/2025
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Texte

Cognitive Motor Dissociation in Disorders of Consciousness. Bodien Y.G., Allanson J., Cardone P., et al. The New England Journal of Medicine, Volume 391, numéro 7, août 2024, pages 598-608.

 

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Question évaluée :

Quelle est la prévalence de la dissociation cognitive motrice (CMD) chez les patients atteints de troubles de la conscience, et comment cette condition peut-elle être détectée de manière fiable à l’aide d’IRM fonctionnelle (IRMf) et d'électroencéphalographie (EEG) ?

L’étude vise à explorer si une proportion significative de patients cliniquement « non répondants » pourrait néanmoins être capable d’activer des zones cérébrales spécifiques en réponse à une commande, identifiables via des technologies avancées d’EEG et d’IRMf qui permettraient potentiellement de préciser le devenir de ces patients.

Type d’étude :

Étude de cohorte prospective multicentrique, impliquant 353 patients recrutés dans six centres internationaux entre 2006 et 2023.

Population étudiée :

Les participants à l'étude étaient des adultes (≥ 18 ans) avec un trouble de la conscience qui ont été recrutés dans les unités de soins intensifs, les services hospitaliers, les centres de réadaptation. Les critères d'exclusion étaient l’existence d’une pathologie neurologique ou psychiatrique antérieure, d’une contre-indication à l’IRM et/ou à l’EEG (par exemple pour IRMf, l'incapacité de s'allonger à plat ou la présence d’implants en métaux ferreux), en fonction de la technique utilisée.

Méthode :
  • Évaluations comportementales : utilisation de l’échelle Coma Recovery Scale-Revised (CRS-R) pour déterminer le niveau de conscience des participants.
  • Techniques de neuro-imagerie et électrophysiologie : IRMf et EEG pour détecter une activité cérébrale de réponse à la commande verbale (imaginez vous jouant au tennis, ouvrez/fermez la main)
  • Critère de CMD : les évaluations par IRMf et EEG consistaient à demander aux patients d'imaginer des mouvements spécifiques (ex. : jouer au tennis) pour provoquer une activité cérébrale mesurable correspondant à la tache demandée. Différentes techniques ont été utilisées pour minimiser les biais : en IRMf, des seuils statistiques stricts avec correction des comparaisons multiples étaient appliqués pour éviter des fausses détections ; en EEG, les réponses étaient évaluées soit par densité spectrale de puissance corrigée, soit par un algorithme d’apprentissage automatique.
Résultats essentiels :
  • 353 adultes atteints de divers troubles de la conscience (coma, état végétatif, état de conscience minimale) ont été étudiés. En moyenne, l’évaluation comportementale avec le CRS-R a été effectuée à 7,9 mois après la lésion initiale (25 % des évaluations ayant lieu dans les 28 jours suivant la lésion, et 75 % après).
  • Les caractéristiques étaient un âge médian de 37,9 ans, avec 50 % des patients ayant subi un traumatisme crânien. Les autres étiologies étaient représentées par le coma post-anoxique et les causes vasculaires. Les participants ont été recrutés dans des unités de soins intensifs, services hospitaliers, centres de rééducation et établissements de soins de longue durée et correspondent probablement à des états de conscience altérée d’évolution subaigüe et chronique.
  • 25 % des patients sans réponse cliniquement observable aux commandes ont montré une activité cérébrale détectable en IRMf et/ou EEG (état de dissociation cognitivo-motrice, CMD).
  • Les jeunes patients avec des antécédents de traumatisme crânien avaient une probabilité plus élevée de CMD.
  • La CMD a également été identifiée chez des patients diagnostiqués en état végétatif ou en coma, renforçant l’idée que certains patients perçus comme inconscients pourraient conserver une certaine activité cognitive.
Commentaires :

La CMD est un phénomène décrit par d’autres études précédemment et qui pourrait ultérieurement modifier notre prise en charge des patients atteints de troubles de la conscience1–3. Cette étude révèle qu’environ un quart des patients cliniquement « non répondants » pourraient en réalité posséder une activité plus riche de réponse à la commande, non visible avec les méthodes d’évaluation comportementales classiques mais décelable en IRMf et électrophysiologie.

Points forts :
  • Taille de l’échantillon et diversité géographique : une des plus grandes cohortes à ce jour pour cette population spécifique, offrant une large représentativité.
  • Méthode multimodale : environ un tiers des patients ont été évalués avec les deux techniques (IRMf et EEG), tandis que deux tiers ont reçu l’une des deux méthodes. L’étude révèle que l’approche multimodale améliore la sensibilité de détection de la CMD. De plus, bien que le délai entre l’évaluation clinique (CRS-R) et les tests d’imagerie ait été en moyenne de 7 jours, la majorité des tests ont été effectués la veille, minimisant ainsi les variations cliniques possibles entre les évaluations comportementales et les tests d’imagerie.
  • Une preuve que la CMD est plus fréquente qu’attendue ? L’étude montre une prévalence de CMD plus élevée que dans d’autres cohortes2,3. Cela pourrait s’expliquer par l’utilisation d’une approche multimodale (IRMf et EEG), qui semble augmenter la sensibilité pour détecter des cas de CMD, même si finalement seule une minorité de patients a bénéficié des deux techniques en parallèle.
Points faibles :
  • Variabilité des méthodes entre les centres : l’hétérogénéité dans l’acquisition et l’interprétation des données entre les centres participants pourrait influencer la reproductibilité des résultats mais présente le bénéfice de représenter la « vraie vie ».
  • Sensibilité et temporalité : la CMD s’est révélée très fréquente chez les jeunes, et plus souvent présente lorsque l’évaluation se fait à distance de l’événement initial de la lésion cérébrale. Ces éléments suggèrent que la temporalité est un facteur à ne pas négliger dans la détection de CMD, mais cela peut limiter la généralisation immédiate des résultats aux situations de pronostication précoce.
  • Il n’y a pas de suivi à long terme de la cohorte publiée dans l’article. L’émergence de l’état de conscience minimale chez les patients ayant une CMD pourrait aussi être un moyen de validation de la technique mais aussi conforterait sa valeur pronostique.
  • Réponse à la commande et conscience : il est essentiel de noter qu’une réponse à une commande ne signifie pas forcément que le patient est conscient. La reproductibilité des réponses à ces commandes n’a pas été évaluée dans l’étude, et aucun code de communication standardisé n’a été mis en place pour confirmer la capacité de répondre de manière consistante aux commandes.
  • Disparité entre la réponse comportementale et neurophysiologique : une proportion importante de patients capables de répondre cliniquement aux ordres n'a montré aucune réponse détectable en IRMf ou EEG. Cette discordance pourrait être due à des fluctuations de l’état de conscience ou à des mécanismes de compensation, mobilisant potentiellement des zones fonctionnelles alternatives en raison de la plasticité cérébrale. Ce phénomène nécessite des recherches approfondies pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents et l’interprétation de la CMD dans ces cas.
Implications futures :

Standardisation et accessibilité des méthodes : simplifier les méthodes de détection de la CMD est indispensable pour déterminer leur intérêt pronostique dans différentes pathologies. Le couplage de ces technologies à la télémédecine pourrait combler un besoin en matière de pronostic, particulièrement dans les situations de soins critiques où les ressources doivent être rationnalisées. Cela permettrait d’identifier plus précocement les patients susceptibles de retrouver des niveaux fonctionnels acceptables, optimisant ainsi l’allocation des ressources en réanimation et en soins de longue durée.

Implications et conclusions :

La reconnaissance de la CMD pourrait révolutionner la gestion des patients en état de conscience altérée. Ces résultats plaident en faveur de l’implémentation plus large des techniques d’IRMf et d’EEG pour les patients atteints de troubles de la conscience. Des évaluations régulières en imagerie pourraient permettre de détecter des états de conscience non détectés jusqu’alors, influençant potentiellement les décisions éthiques et cliniques autour de l’arrêt des traitements de maintien des fonctions vitales3. Une étude avec évaluation pronostique de grande ampleur, ayant comme prérequis une simplification et standardisation des techniques de détection de la CMD, pourrait permettre de répondre à la question.


 

Références cités dans les commentaires   

  1.  Owen AM, Coleman MR, Boly M, Davis MH, Laureys S, Pickard JD. Detecting awareness in the vegetative state. Science 2006; 313: 1402.
  2. Claassen J, Doyle K, Matory A, et al. Detection of Brain Activation in Unresponsive Patients with Acute Brain Injury. N Engl J Med 2019; 380: 2497–505.
  3. Edlow BL, Claassen J, Schiff ND, Greer DM. Recovery from disorders of consciousness: mechanisms, prognosis and emerging therapies. Nat Rev Neurol 2021; 17: 135–56.

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Aurélien Mazeraud.

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