Pour les pneumonies communautaires modérément sévères, une antibiothérapie de 3 jours par une bétalactamine semble suffisante !

09/12/2021
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Article Lancet
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Discontinuing β-lactam treatment after 3 days for patients with community-acquired pneumonia in non-critical care wards (PTC): a double-blind, randomised, placebo-controlled, non-inferiority trial
Aurélien Dinh, Jacques Ropers, Clara Duran, Benjamin Davido, Laurène Deconinck, Morgan Matt, MD et al.
Lancet 2021 ; 397 : 1195-1203. doi: 10.1016/S0140-6736(21)00313-5.

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Question évaluée

Est-il possible de raccourcir la durée du traitement antibiotique par une bétalactamine au cours des pneumonies communautaires modérément sévères nécessitant une hospitalisation en dehors des unités de soins critiques ?

Type d’étude

Etude de non-infériorité, multicentrique (16 centres Français), randomisée, en double aveugle, contrôlée contre placebo, réalisée dans 16 hôpitaux français.

Population étudiée

Adulte présentant une pneumonie communautaire modérément sévère traitée par une bétalactamine en monothérapie et présentant après 72 heures de traitement un état clinique stable.

Le diagnostic de pneumonie était clinico-radiologique.  La sévérité de la pneumonie était évaluée par le lieu de prise en charge ; modérément sévère correspondait à une hospitalisation en dehors d’une unité de soins critiques. Le traitement préconisé était amoxicilline + acide clavulanique ou une céphalosporine de troisième génération (céfotaxime ou ceftriaxone). Un état clinique stable correspondait à une apyrexie, une absence de tachycardie, de polypnée, d’hypotension artérielle, de désaturation artérielle et un état mental normal.

Méthode
Intervention

Après 72 heures de traitement, les patients éligibles ont été randomisés pour recevoir amoxicilline-acide clavulanique pour encore 5 jours ou un placebo.

Objectifs et critères de jugement

L’objectif principal était l’évaluation du taux de guérison clinique au 15ème jour, définie par une apyrexie, la résolution ou l’amélioration des signes et symptômes initiaux et la non prescription d’une nouvelle antibiothérapie. 

Parmi les objectifs secondaires, on notait la durée d’hospitalisation à J15, le taux de guérison et la mortalité toutes causes confondues à J30.

Ces critères de jugement ont été déterminées par un comité d’adjudication indépendant, en aveugle du traitement alloué.

Partant du postulat que 90% des patients seraient guéris à J15, un nombre total de 310 patients permettait de démontrer la non-infériorité avec une puissance de 80% et une marge de non-infériorité de 10%.

Résultats essentiels

Entre décembre 2013 et février 2018, un total de 310 patients a été éligible, 157 dans le groupe placebo et 153 dans le groupe béta-lactamine. Parmi eux, 303 patients ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter et 291 dans l’analyse per protocole à J15. Enfin, 282 patients ont été évalués à J30.

Les principales données cliniques et démographiques initiales et les principaux résultats thérapeutiques ont été les suivants :

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Dans la population en intention de traiter, la différence de guérison à J15 entre les patients recevant un placebo et ceux du groupe bétalactamine a été de 9,42% (IC 95% : -0,38 à 20,04), ce qui témoigne d’une non-infériorité. Dans la population per protocole, la différence a été de 9,44% (IC 95% : -0,15 à 20,34), témoignant là aussi d’une non-infériorité. Toutes les analyses de sous-groupe (en fonction de l’âge et de la sévérité de la pneumonie selon le score PSI) allaient également dans le sens de la non-infériorité du placebo (sauf pour l’analyse per-protocole du sous-groupe de patient < 65 ans et celui avec PSI ≥ 91).

Commentaires

Si on exclut les études concernant l’azithromycine (1, 2, 3), il n’y a, avec le présent travail, que 2 études qui ont comparé 2 durées d’administration d’une béta-lactamine au cours de la pneumonie communautaire modérément sévère (4). 

Les résultats sont concordants : un traitement de 3 jours n’apparaît pas inférieur à un traitement de 8 jours en termes de guérison clinique à J10, 15, 28 ou 30….

Néanmoins, avant de considérer ce résultat comme acquis, certains points mériteraient d’être éclaircis :
  • Dans la présente étude, près de 40% des patients appartenaient aux classes 4 ou 5 de Fine (5). Il est surprenant de considérer alors que la pneumonie était modérément sévère et que ces patients ne nécessitaient pas une admission en unité de soins critiques. 
  • Quand on analyse la mortalité globale à J30 (5/303 soit 1,7%), on peut admettre que les patients présentaient une pneumonie modérément sévère. Néanmoins, cette mortalité est anormalement faible eu égard au nombre de patients en classe 4 ou 5 de Fine (n=119). Dans ces classes, la mortalité attendue est en effet supérieure à 8% (5).
  •  Le taux de guérison attendu à J15 était de 90%. Toutefois, il a été moindre, 72% à J15 et 72,7% à J30. Les auteurs suggèrent que les définitions variables d’une étude à l’autre expliquent les différences. Néanmoins, il est difficile de comprendre que 30% des patients ne soient pas guéris à J15, que 30% des patients ne soient toujours pas guéris à J30 mais que finalement seulement 1,7% des patients décèdent avant J30. Sont-ils décédés plus tard ?  Que s’est-il passé entre J15 et J30 pour les patients non guéris à J15 et au-delà de J30 pour ceux en échec à J30 ?   
  • Le nombre de patient inclus n’a pas été suffisant pour que les analyses de sous-groupes (âge > 65 ans, score de Fine > 91) soient fiables. C’est dommage car il s’agit des sous-groupes pour lesquels les réticences à raccourcir la durée du traitement seront les plus vives, même si les résultats de la présente étude semblent d’autant plus en faveur d’un traitement court que le patient est âgé ou que le score de Fine est élevé…     
  • Enfin et surtout, en l’absence de données microbiologiques voire biologiques (CRP, PCT), rien ne permet d’affirmer que les patients avaient une pneumonie bactérienne, c’est-à-dire une pathologie nécessitant une antibiothérapie. Il est probable qu’un certain nombre de patients, dont l’état s’est stabilisé entre J1 et J3, avaient en fait une pathologie virale voire non infectieuse. Même si les explorations microbiologiques n’étaient pas obligatoires, on est surpris par un taux de documentation bactériologique de 12% puisqu’il est usuellement aux alentours de 50% (6).
  • La question principale n’est donc peut-être pas celle de la durée du traitement mais celle de son indication ! A ce propos, il faut noter que le taux médian de procalcitonine dans le groupe de patients ayant reçu un traitement prolongé par bétalactamine était de 0,20 µmol/l. Il était donc inférieur à la valeur seuil communément admise (> 0,25µmol/l) pour suggérer que la pathologie respiratoire en cours est bactérienne et nécessite une antibiothérapie… (7)
Points forts
  • Etude randomisée en double aveugle avec analyse par un comité indépendant ce qui exclut un biais dans l’analyse du critère subjectif qu’est la guérison.
Points faibles
  • Absence d’explorations microbiologiques ou biologiques (CRP, PCT) obligatoires
  • Taux de guérison effectif plus faible que celui utilisé pour le calcul de la taille de l’échantillon.
Implications et conclusions

Chez les patients admis à l’hôpital pour une pneumonie communautaire, l’arrêt du traitement antibiotique au 3e jour de son administration en cas de stabilité clinique n’est pas inférieur, en termes de guérison, à sa poursuite jusqu’au 8e jour. Ce résultat devrait permettre une diminution substantielle de la consommation antibiotique.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Olivier Leroy, Service de Réanimation Médicale et Maladies Infectieuses, CH de TOURCOING, France.

L'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.

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Références

    • Benzylpenicillin or erythromycin in community-acquired pneumonia.
      Eur J Clin Microbiol Infect Dis 1995; 14: 182-7.
    • A short (3-day) course of azithromycin tablets versus a 10-day course of amoxycillin-clavulanic acid (co-amoxiclav) in the treatment of adults with lower respiratory tract infections and effects on long-term outcome.
      Hoepelman IM, Mollers MJ, van Schie MH, et al.
      Int J Antimicrob Agents 1997; 9: 141-6. 
    • Randomized, multicentre study of the efficacy and tolerance of azithromycin versus clarithromycin in the treatment of adults with mild to moderate community-acquired pneumonia. Azithromycin Study Group.
      O’Doherty B, Muller O.
      Eur J Clin Microbiol Infect Dis 1998; 17 : 828-33. 
    • Effectiveness of discontinuing antibiotic treatment after three days versus eight days in mild to moderate-severe community acquired pneumonia: randomised, double blind study.
      el Moussaoui R, de Borgie CAJM, van den Broek P, et al.
      BMJ 2006; 332: 1355.
    • A prediction rule to identify low-risk patients with community-acquired pneumonia.
      Fine MJ, Auble TE, Yealy DM, Hanusa  BH,Weissfeld LA, Singer DE, et al.
      N Engl J Med 1997; 336: 243-50.
    • Comparison between pathogen directed antibiotic treatment and empiric al broad spectrum antibiotic treatment in patients with community acquired pneumonia: a prospective randomised study.
      Van der Eerden MM, Vlaspolder F, de Graaff CS, et al.
      Thorax 2005; 60: 672-8.
    • Design and rationale of the Procalcitonin Antibiotic Consensus Trial (ProACT), a multicenter randomized trial of procalcitonin antibiotic guidance in lower respiratory tract infection.
      Huang DT, Angus DC, Chang CH, et al.
      BMC Emerg Med 2017; 17: 25.
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