
Relationship between skin microvascular blood flow and capillary refill time in critically ill patients, Morin et al, Critical Care, 2025. Feb 4;29(1):57. doi: 10.1186/s13054-025-05285-y. PMID: 39905546
Existe-t-il une relation entre le temps de recoloration cutanée et le débit sanguin cutané chez des patients avec insuffisance circulatoire ?
Type d’étude :
Étude observationnelle prospective
Population étudiée :
Patients de plus de 18 ans, inclus dans les 48 heures d’une admission en réanimation et présentant une insuffisance circulatoire avec exclusion des patients à peau noire ou présentant des lésions cutanées empêchant une mesure correcte du temps de recoloration cutanée (TRC) et des patients en choc hémorragique.
Méthode :
Cette étude observationnelle monocentrique a étudié la relation entre le TRC et le débit sanguin cutané (DSC) au doigt mesuré grâce au doppler-laser cutané chez des patients admis en réanimation et présentant une insuffisance circulatoire. Celle-ci était définie par des paramètres macrocirculatoires (pression artérielle moyenne inférieure à 65 mmHg, fréquence cardiaque supérieure à 100/min) et microcirculatoires (TRC allongé, oligurie, hyperlactatémie, marbrures).
Tout patient bénéficiait :
D’une mesure du TRC par pression ferme sur la phalange distale de l’index pendant 15 secondes (pression juste suffisante pour éliminer le sang au bout de l’ongle du médecin avec apparition d’un croissant distal blanc sous l’ongle) et mesure du temps nécessaire à la recoloration,
Puis d’une mesure au même doigt du DSC grâce à un doppler-laser cutané donnant une valeur de « perfusion cutanée » en unité arbitraire appelée « PU ».
Ont été collectées à l’admission, les données démographiques, le motif d’entrée et la gravité initiale grâce aux scores SOFA et SAPS II. Les mesures d’intérêt citées ci-dessus ont été effectuées à deux reprises, à l’inclusion (T0) et 4 à 6 heures après inclusion (T1). Outre la nécessité de ventilation mécanique et d’un support vasopresseur, des données macro (pression artérielle moyenne, débit cardiaque, fréquence cardiaque) et microcirculatoires (lactate, TRC et score de marbrure) usuelles étaient recueillies.
Une corrélation entre ces deux paramètres a été recherchée ainsi que l’association avec la survie à 28 jours.
Résultats essentiels :
Au total, sur une durée de deux mois, 50 patients ont été inclus, majoritairement pour sepsis ou choc septique (54 %), hypovolémie (12 %) ou choc cardiogénique (8 %). Le score IGSII médian s’élevait à 40, le score SOFA à 5 avec une dose médiane de noradrénaline à 0,55 mg/kg/min et il y a eu recours à la ventilation mécanique chez 28 % des patients.
A l’inclusion, le TRC médian s’élevait à 2 secondes et le DSC médian à 46 PU avec un indice de corrélation à 0,89 (p < 0,0001), la corrélation suivant une courbe exponentielle. Une corrélation similaire était retrouvée que les patients soient sous noradrénaline ou non et qu’ils présentent ou pas un sepsis.
Entre T0 et T1, le TRC avait significativement diminué de 2 à 1,6 secondes au doigt (p = 0,001), observation également faite pour le DSC avec une augmentation de 46 à 112 PU (p = 0,02) sans modification significative de l’ensemble des paramètres macrocirculatoires, des doses de noradrénaline et de la lactatémie.
Les variations du TRC et du DSC entre T0 et T1 sont significativement corrélées malgré un coefficient de corrélation faible à 0,34 (p < 0,001).
L’étude a mis en évidence une mortalité à 28 jours de 22 %. Les sujets décédés avaient un TRC au doigt plus élevé à l’inclusion (4,3 s contre 1,5 s, p < 0,001) mais également un DSC plus faible (16 PU contre 74 PU, p = 0,0002).
A noter, l’absence de différence significative concernant le débit cardiaque, la lactatémie, les doses de noradrénaline et le recours à la ventilation mécanique entre les patients vivants et décédés à J28.
Chez les patients présentant initialement un TRC allongé (supérieur à 2,5 s), les patients survivants à J28 amélioraient significativement leur DSC entre T0 et T1 (p = 0,02) contrairement aux patients décédés à J28 (p = 0,15). La mesure du DSC pourrait aider à prédire la mortalité à J28 avec un seuil à T0 < 27 PU et un seuil à T1 < 28 PU.
Commentaires :
Il est à l’heure actuelle bien démontré, qu’au-delà de la dysfonction macrocirculatoire, la profondeur de la dysfonction microcirculatoire est une problématique majeure dans le choc septique [1] étant bien corrélée à la défaillance d’organes et à la mortalité des patients [2, 3]. Bien que souvent associées, la microcirculation et la perfusion tissulaire ne représentent pas toujours la même réalité physiopathologique. Malgré un intérêt théorique appréciable et déjà démontré, les différents dispositifs évaluant directement la perfusion tissulaire sont difficilement utilisables en pratique clinique du fait d’une certaine lourdeur technique (capillaroscopie, vidéomicroscopie sublinguale, iontophorèse). Le doppler-laser cutané (PeriFlux System 5000, Perimed, Sweden) utilisé dans cette étude, semble d’une relative simplicité d’utilisation même si elle demande une coopération du patient. Une sonde thermique est fixée sur la face pulpaire du même index où a été mesurée le TRC et un signal est enregistré pendant une minute. Ce signal représente la vélocité des globules rouges (cf figure) avec une valeur appelée unité de perfusion (PU).
Même si globalement admise, il existe peu de données ayant montré une corrélation entre le TRC et la perfusion tissulaire [4]. Une étude préliminaire [5] ayant porté sur 12 patients en choc septique et 10 volontaires sains avait montré une bonne corrélation entre les valeurs de PU mesurées par doppler-laser cutané et le TRC avec un indice r² à 0,76.
Cette étude de Morin et al s’intéresse à une population non sélectionnée de patients de réanimation et évaluant de manière prospective et standardisée le TRC et le DSC par doppler-laser cutané. Elle a ainsi permis de mettre en évidence une association entre altération de la perfusion cutanée et allongement du TRC.
La faible corrélation de la variation dans le temps de ces paramètres (r = 0,34) laisse supposer l’influence d’autres facteurs non évalués (viscosité sanguine, stress endothélial, altération du tonus vasomoteur…).
Il n’a pas été observé de corrélation entre les variations du DSC et celles du débit cardiaque mais il pourrait être intéressant de l’évaluer spécifiquement devant le très faible nombre de patients admis pour choc cardiogénique [6].
Points forts :
Protocole standardisé, facile de réalisation en routine et rapide concernant le TRC
SBF et sa variation sont significativement corrélées à un critère de mortalité
SBF potentiellement utilisable chez les sujets à peau noire
Première étude montrant une corrélation forte entre débit sanguin cutané et temps de recoloration cutanée
Points faibles :
Faibles effectifs, étude monocentrique
Difficilement généralisable car :
TRC non fait de façon standardisée dans les réanimations « non expertes »
Doppler-laser cutané non disponible partout et avec un certain coût (25 K€)
Faible effectif de patients sous noradrénaline (10 patients sur 50) : cette corrélation persiste t’elle chez les patients les plus graves ou lors des toutes premières heures de la réanimation ?
Implications et conclusions :
Cette étude prouve que le TRC est un bon reflet de la perfusion tissulaire cutanée dont il apparait primordial d’en uniformiser la mesure notamment au niveau paramédical.
Il n’existe à l’heure actuelle pas d’appareil pouvant évaluer en continu la perfusion tissulaire. Le doppler-laser, non utilisable en routine, est notamment influencé par des facteurs extérieurs (températures cutanée ou extérieure) pouvant ainsi rendre son interprétation difficile [7].
Le développement de nouveaux marqueurs pouvant intégrer de multiples paramètres (réactivité endothéliale, anomalie de perfusion, fuite capillaire…) ainsi que des thérapeutiques « spécifiques » de la microcirculation restent donc toujours ouvertes.
Références citées dans les commentaires
- Hariri G, Joffre J, Leblanc G, et al (2019) Narrative review: clinical assessment of peripheral tissue perfusion in septic shock. Ann Intensive Care 9:37. https://doi.org/10.1186/s13613-019-0511-1
- De Backer D (2013) Microcirculatory alterations in patients with severe sepsis : impact of time of assessment and relationship with outcome. Crit Care Med 41:791–799. https://doi.org/10.1097/CCM.0b013e3182742e8b Buy
- Duranteau J, De Backer D, Donadello K, et al (2023) The future of intensive care: the study of the microcirculation will help to guide our therapies. Crit Care 27:190. https://doi.org/10.1186/s13054-023-04474-x
- Huang W, Xiang H, Hu C, et al (2023) Association of Sublingual Microcirculation Parameters and Capillary Refill Time in the Early Phase of ICU Admission*. Crit Care Med 51:913–923. https://doi.org/10.1097/CCM.0000000000005851
- Contreras R, Hernández G, Valenzuela ED, et al (2023) Exploring the relationship between capillary refill time, skin blood flow and microcirculatory reactivity during early resuscitation of patients with septic shock: a pilot study. J Clin Monit Comput 37:839–845. https://doi.org/10.1007/s10877-022-00946-7
- Merdji H, Levy B, Jung C, et al (2023) Microcirculatory dysfunction in cardiogenic shock. Ann Intensive Care 13:38. https://doi.org/10.1186/s13613-023-01130-z
Roustit M, Millet C, Blaise S, et al (2010) Excellent reproducibility of laser speckle contrast imaging to assess skin microvascular reactivity. Microvasc Res 80:505–511. https://doi.org/10.1016/j.mvr.2010.05.012
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Article Commenté par Marine Amiot et Jean-Rémi Lavillegrand - Service de médecine intensive et réanimation, hôpital Henri Mondor, Créteil, France.
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