
A randomized clinical trial to evaluate the effect of post-intensive care multidisciplinary consultations on mortality and the quality of life at 1 year. Sharshar T et al, Intensive Care Medicine 2024, 50(5) :665-677
Question évaluée
Des consultations multidisciplinaires post-réanimation, réalisées en présentiel à l’hôpital, peuvent-elles améliorer la qualité de vie et la mortalité un an après la sortie de réanimation ?
Type d’étude
Étude randomisée contrôlée multicentrique, en protocole ouvert, mais avec évaluation du critère principal de jugement en aveugle.
Population étudiée
Patients sortants vivants de réanimation, après un séjour ayant comporté plus de 3 jours de ventilation mécanique, et dont l’espérance de vie anticipée était d’au moins un an.
Méthode
* Patients inclus à la sortie de la réanimation et randomisés en deux groupes :
- suivi multidisciplinaire, comprenant une consultation multidisciplinaire à la sortie de réanimation, ainsi qu’à 3, (6), et 12 mois après cette sortie
- suivi standard, avec une seule consultation multidisciplinaire 12 mois après la sortie de réanimation
* Consultations en présentiel, réalisées à l’hôpital, impliquant un médecin intensiviste, un psychologue et un assistant de service social
* Critère de jugement principal : mauvaise évolution, définie par le décès ou une mauvaise qualité de vie (score ≥4/5 à une dimension de l’échelle EQ5D-5L) à 12 mois.
* Paramètres évalués : statut fonctionnel (MRC), autonomie (IADL), statut cognitif (MMSE), statut psychologique (HADS, IES-R), qualité de vie (EQ5D-5L)
* Éléments du critère principal de jugement collectés à l’aveugle par entretien téléphonique
Résultats essentiels
* 546 patients inclus et randomisés entre décembre 2012 et septembre 2017, et 497 patients évalués pour le critère principal de jugement
* Dans le groupe multidisciplinaire (n=268): 202, 155, 27 et 148 patients ont bénéficié de la consultation à la sortie, à 3, 6 et 12 mois respectivement. Dans le groupe standard (n=272) : 152 patients ont bénéficié de la consultation 12 mois après la sortie.
* Le risque de mauvaise évolution à 1 an était plus élevé dans le groupe multidisciplinaire après ajustement sur l’âge, le centre et le SOFA: OR 1,49 (IC95% 1,04-2,13)
* Seule la dimension psychologique du score EQ5D-5L différait entre les deux groupes. Les scores HADS de dépistage de l’anxiété et de la dépression ne différaient pas entre les groupes.
Commentaires
Si le syndrome post-réanimation est maintenant reconnu comme un problème de santé publique (1), le sujet du suivi post-réanimation fait l’objet de controverses. Ce suivi est de plus en plus suggéré voire recommandé (2), mais les modalités ne sont pas clairement établies et les preuves de son efficacité manquent (3, 4). L’étude multicentrique française de Tarek Sharshar et collègues s’inscrit donc de manière pertinente dans une dynamique de recherche clinique assez pragmatique visant à préciser l’impact d’un suivi post-réanimation sur le devenir des patients qui survivent à un séjour en réanimation.
En l’absence de recommandations spécifiques (5) au moment de la conception de l’étude (il y a plus de 10 ans), le modèle de suivi a été conçu empiriquement, et s’ajoute aux nombreux autres modèles existants qui varient en terme, notamment, de soignants impliqués, d’outils de dépistages utilisés, de fréquence de suivi, de mesures adoptées en cas d’altérations dépistées, de coordination du suivi ou encore de l’interface de la consultation et de son lieu.
Appliquer ce modèle particulier de suivi a eu un effet négatif sur la dimension psychologique de la qualité de vie évaluée un an après la sortie des soins intensifs, en comparaison avec un suivi « standard ». Il n’a pas eu d’effets positifs sur les autres critères secondaires.
Ces résultats décevants pourraient être en lien avec les critères de jugement choisis, le modèle de suivi choisi, l’application variable de ce modèle par les différents centres impliqués (6), un biais de sélection dû à l’inhérente perte de patient en cours d’année (pour diverses raisons, allant de la motivation à l’état de santé, en passant par des difficultés sociales et de déplacement), la qualité du suivi habituel, le délai d’un an pour évaluer l’effet du dépistage et d’une compliance incertaine aux éventuelles prises en charge suggérées par l’équipe de suivi.
Il est donc difficile de savoir si c’est l’intervention elle-même qui est sans effet voire délétère, ou si c’est le contexte global qui mène à ces effets.
Points forts
* Randomisation en deux groupes
* Taille de l’échantillon
* Approche multicentrique
Points faibles
* Choix de la mortalité comme composante du critère principal de jugement
* Approche multicentrique
* Suivi standard non précisé, et potentiellement extrêmement variable parmi les patients inclus dans ce groupe
* Patient non informé directement ni des résultats du bilan réalisé aux consultations, ni des suggestions thérapeutiques (lettre envoyée aux médecins généralistes)
* Nombre significatif de patients n’ayant pas participé aux consultations à 3 et 6 mois après la sortie de réanimation
* Données insuffisantes sur l’état pré-admission (antécédents psychologiques ou psychiatriques, fragilité, isolement social, …)
* Hétéro-évaluation de la qualité de vie préalable à l’admission en réanimation pour un tiers des patients
Implications et conclusions
Les résultats décevants rapportés dans cet article apportent un éclairage supplémentaire mais non définitif sur le sujet étudié, dont la complexité est évidente.
Ces résultats sont en lien étroits tant avec le suivi étudié qu’avec le design de l’étude. Une consultation simple peut être anxiogène si elle n’est pas accompagnée d’un bilan adressé au patient, de décisions et de suivi individualisé.
Ainsi, il ne semble pas possible d’extrapoler les résultats tels quels à d’autres modèles de suivi. Les données présentées ainsi que la discussion peuvent par contre servir lors de la conception de futurs protocoles de recherche sur le suivi post-réanimation, testant d’autres modalités de suivi.
Références cités dans les commentaires
- Rousseau AF, Prescott HC, Brett SJ, et al. Long-term outcomes after critical illness: recent insights. Crit Care 2021;25(1):108.
- Evans L, Rhodes A, Alhazzani W, et al. Surviving sepsis campaign: international guidelines for management of sepsis and septic shock 2021. Intensive Care Med 2021;47(11):1181-1247.
- Lasiter S, Oles SK, Mundell J, et al. Critical Care Follow-up Clinics: A Scoping Review of Interventions and Outcomes. Clin Nurse Spec 2016;30(4):227-237.
- Nakanishi N, Liu K, Hatakeyama J, et al. Post-intensive care syndrome follow-up system after hospital discharge: a narrative review. J Intensive Care 2024;12(1):2.
- (France) HAS. Diagnostic et prise en charge des patients adultes avec un syndrome post-réanimation (PICS) et de leur entourage. 2023 [cited Available from: https://www.has-sante.fr/jcms/p_3312530/fr/diagnostic-et-prise-en-charge-des-patients-adultes-avec-un-syndrome-post-reanimation-pics-et-de-leur-entourage
- Rosa RG, Walsh TS. Navigating complex interventions in post-ICU care: insights from a randomized clinical trial of post-intensive care multidisciplinary consultations. Intensive Care Med 2024;50(5):725-727.
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par la Pr Anne-Françoise ROUSSEAU (MD, PhD, FESAIC), Soins Intensifs, CHU Sart-Tilman Liège, Belgique
L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.
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