Temps de positivité des hémocultures : une horloge au service du diagnostic et du pronostic

10/10/2025
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Marco DN, Brey M, Anguera S, Pitart C, Grafia I, Bodro M, Martínez JA, Del Río A, Garcia-Vidal C, Sempere A, Cardozo C, Puerta-Alcalde P, Chumbita M, Hernández-Meneses M, Cuervo G, Monzo-Gallo P, Verdejo MÁ, Aiello TF, Espasa M, Casals-Pascual C, Morata L, García F, Mensa J, Soriano À, Herrera S. Time to positivity as a predictor of catheter-related bacteremia and mortality in adults with Pseudomonas aeruginosa bloodstream infection. Crit Care. 2025 Feb 6;29(1):63. doi: 10.1186/s13054-025-05292-z. PMID: 39910660; PMCID: PMC11800533.

Texte
Question évaluée 

Cet article explore la capacité du Time to positivity (TTP), c’est-à-dire le délai entre le début de l’incubation du prélèvement et la détection d’une hémoculture positive, à prédire une bactériémie à Pseudomonas aeruginosa et son association avec la mortalité à 30 jours. Plus spécifiquement, il examine si un TTP court et un Differential TTP (DTP ; Différence de temps de positivité entre les hémocultures périphériques et centrales) longs peuvent servir à identifier précocement les bactériémies liées aux cathéters à Pseudomonas aeruginosa et à stratifier le risque de décès dans cette population.

Type d’étude 

Il s’agit d’une étude observationnelle rétrospective monocentrique conduite dans un hôpital universitaire de 800 lits à Barcelone (Espagne). L’étude utilise une base de données de surveillance microbiologique existante, constituée prospectivement sur une période de près de 30 ans, de 1991 à 2019.

Population étudiée 

L’étude inclut 1177 épisodes de bactériémie à Pseudomonas aeruginosa chez des patients adultes hospitalisés, avec enregistrement du TTP pour tous les cas et du DTP pour 355 d’entre eux. Parmi les patients inclus, 859 portaient un cathéter au moment de la bactériémie, et 33 % de ces épisodes ont été classés comme des bactériémies liées aux cathéters.

Méthode 

Le TTP et le DTP ont été calculés à partir des hémocultures réalisées avec des systèmes automatisés. L’analyse principale visait à évaluer la performance diagnostique du TTP et du DTP. Les meilleurs seuils de TTP et DTP ont été identifiés à l’aide de courbes ROC. Des analyses univariées et multivariées ont été réalisées, en ne prenant en compte que les variables présentes au cours des premières 24 heures suivant l'apparition des symptômes, pour d'identifier les caractéristiques indépendamment associées aux bactériémies liées aux cathéters. Une analyse multivariée a ensuite été conduite pour tester l’association entre TTP court et mortalité à 30 jours.

Résultats essentiels 

Un TTP < 13 heures et un DTP > 2 heures étaient associés, dans l’analyse multivariée conduite sur la sous-population disposant des deux mesures (n = 335), à un risque statistiquement significatif de bactériémies liées aux cathéters à Pseudomonas aeruginosa avec respectivement un OR 4,3 ; IC95% (2,5 – 7,7) et un OR 2,0 ; IC95% (1,1 – 3,5). Il est à noter que cette analyse conjointe ne portait que sur 30 % de la population totale, en raison de la disponibilité limitée du DTP dans les dossiers analysés.

Chez les patients avec une bactériémie liée au cathéter à Pseudomonas aeruginosa, l’incidence de la mortalité à 30 jours était significativement plus basse que pour les autres sources d’infection responsable de bactériémie à Pseudomonas aeruginosa (7,7% vs. 26%, p<0,001) cependant, le risque de décès augmentait si le cathéter n’était pas retiré dans les 48 heures après le début de la bactériémie (OR 2,7 ; IC95% [1,1 – 6,7]).

Commentaires 

Cette étude s’inscrit dans un effort de recherche sur des biomarqueurs simples, disponibles en routine et fiables pour guider la prise en charge des bactériémies associées aux soins. Le TTP, déjà validé pour Staphylococcus aureus, les entérobactéries et les levures (1–5), trouve ici une nouvelle application pertinente dans les bactériémies à Pseudomonas aeruginosa , jusqu’alors peu explorées. L’approche méthodologique est rigoureuse, combinant une large cohorte avec des définitions précises et une analyse statistique robuste. La faible disponibilité du DTP dans la pratique clinique est bien mise en évidence, ce qui renforce la pertinence du TTP en tant qu’alternative plus accessible. Les limites de l’étude tiennent toutefois à sa nature rétrospective et à son caractère monocentrique, restreignant la généralisation des résultats. De plus, si le seuil de 13 heures s’impose comme le meilleur point de coupure statistique, sa valeur diagnostique reste limitée : l’aire sous la courbe ROC n’est que de 0,66 ; IC95% (0,62 – 0,70), traduisant une performance modeste. Les paramètres de performance associés (Se 59 %, Sp 72 %, VPP 64 %, VPN 32 %) soulignent qu’il s’agit davantage d’un indicateur de probabilité que d’un outil discriminant robuste. Un seuil plus strict (< 10 h) améliore la spécificité (87 %) et la valeur prédictive positive (70 %) mais au prix d’une sensibilité réduite, limitant son utilité en pratique courante comme test de tri.

Au-delà de ses usages actuels, le TTP pourrait prochainement être intégré dans des systèmes d’aide à la décision clinique, notamment via l’intelligence artificielle. L’agrégation de données microbiologiques précoces, incluant le TTP, dans des modèles prédictifs en temps réel permettrait d’anticiper l’origine des bactériémies et de recommander des interventions ciblées, telles que le retrait rapide du cathéter. Cette approche est d’autant plus pertinente que l’interopérabilité croissante entre les automates de microbiologie et les systèmes d’information hospitaliers offre de nouvelles opportunités pour le pilotage clinique assisté.

Enfin, si certaines données exploratoires ont suggéré que des souches bactériennes résistantes pourraient être associées à un TTP plus court (6,7), possiblement en lien avec une densité bactérienne plus élevée ou une virulence accrue, d’autres données concernant spécifiquement le Pseudomonas aeruginosa vont dans le sens inverse (8,9). Les auteurs rapportent en effet que les souches sensibles présentent un TTP significativement plus court que les souches résistantes, indépendamment de la classe antibiotique. Ce phénomène pourrait refléter un ralentissement métabolique induit par les mécanismes de résistance. À ce stade, aucun seuil de TTP n’a été jugé cliniquement pertinent pour prédire un profil de résistance, et son utilisation à cette fin demeure hypothétique. De plus, l’hétérogénéité des résultats dans d'autres groupes bactériens limite la généralisation de cette observation.

Points forts 
  1. Accès au biomarqueur : Le TTP est une donnée déjà disponible en routine clinique, contrairement à d’autres biomarqueurs plus coûteux ou techniques.

  2. Puissance statistique : L’étude repose sur un grand nombre d’épisodes collecté de manière prospective, avec des analyses robustes.

  3. Pertinence pratique : Les résultats ont une implication immédiate dans la décision de retrait du cathéter, potentiellement salvatrice chez certains patients.

  4. Comparaison DTP vs. TTP : L’étude propose une comparaison directe entre ces deux approches, concluant à la supériorité pragmatique du TTP (pas toujours réalisé en pratique, identification des prélèvements, volumes nécessaires…).

Points faibles 
  1. Monocentricité : Les résultats sont issus d’un seul centre hospitalier, ce qui peut limiter la généralisation des résultats.

  2. Manque de données sur les pratiques de retrait : Les modalités de gestion des cathéters, comme les motifs de maintien en place des cathéters et les verroux antibiotiques, ne sont pas détaillées.

  3. Variabilité technologique : Les performances du TTP pourraient varier selon les systèmes automatisés utilisés, ce qui n’est pas entièrement pris en compte dans l’analyse.

  4. Biais de traitement antibiotique : L’effet confondant du traitement antibiotique en cours au moment du prélèvement est reconnu, mais reste difficile à ajuster parfaitement.

  5. Influence des comorbidités et de l’état immunitaire non explorée : L’étude reconnaît le rôle potentiel des pathologies sous-jacentes mais n’analyse pas en détail l’impact spécifique de certains états d’immunodépression (neutropénie, corticothérapie, chimiothérapie, etc.) sur la cinétique de croissance bactérienne. Or, ces patients peuvent présenter un TTP artificiellement allongé en raison d’une réponse immunitaire altérée, ce qui pourrait biaiser l’interprétation pronostique du TTP dans ces sous-populations (10).

  6. Absence d’analyse à long terme : L’étude se limite à la mortalité à 30 jours, un critère certes pertinent mais insuffisant pour cerner l’ensemble du fardeau clinique. L’exclusion des complications tardives, telles que les métastases septiques, restreint l’évaluation de l’utilité clinique du TTP au-delà de la phase aiguë (10). Cet aspect ne faisait pas partie des objectifs de l’étude et les données n’étaient pas accessibles depuis la base de données interrogée (6) 

Implications et conclusions 

Cette étude soutient l’usage du TTP comme outil à la fois diagnostique (identification d’une bactériémie liée au cathéter) et pronostique (prédiction de la mortalité à 30 jours) dans les bactériémies à Pseudomonas aeruginosa. Elle fournit un seuil opérationnel simple (< 13h) qui pourrait guider la décision de retrait du cathéter. En cas de TTP court, le retrait rapide du cathéter est crucial, et son maintien accroît significativement la mortalité.

Ces résultats incitent à intégrer systématiquement l’analyse du TTP dans les algorithmes de prise en charge des patients présentant une bactériémie à Pseudomonas aeruginosa, notamment dans les services de soins critiques ou d’onco-hématologie. Ils pourraient également justifier l’ajustement précoce du traitement antibiotique empirique en cas de TTP court, en attendant les résultats de l’antibiogramme.

Enfin, l’étude rappelle que des données simples, souvent négligées, comme le TTP, peuvent avoir une grande valeur clinique si elles sont correctement interprétées. Des études multicentriques et prospectives restent néanmoins nécessaires pour valider ces seuils dans des contextes plus variés.


Références citées dans les commentaires : 

  1. Hsieh YC, Chen HL, Lin SY, Chen TC, Lu PL. Short time to positivity of blood culture predicts mortality and septic shock in bacteremic patients: a systematic review and meta-analysis. BMC Infect Dis. 2022;22(1):142. 

  2. Cillóniz C, Ceccato A, De La Calle C, Gabarrús A, Garcia-Vidal C, Almela M, et al. Time to blood culture positivity as a predictor of clinical outcomes and severity in adults with bacteremic pneumococcal pneumonia. Waterer G, éditeur. PLoS ONE. 2017;12(8):e0182436. 

  3. Hou W, Han T, Qu G, Sun Y, Yang D, Lin Y. Is early time to positivity of blood culture associated with clinical prognosis in patients with Klebsiella pneumoniae bloodstream infection? Epidemiol Infect. 2023;151:e43. 

  4. Keighley C, Pope AL, Marriott D, Chen SCA, Slavin MA, Australia and New Zealand Mycoses Interest Group, et al. Time-to-positivity in bloodstream infection for Candida species as a prognostic marker for mortality. Medical Mycology. 2023;61(4):myad028. 

  5. Khatib R, Riederer K, Saeed S, Johnson LB, Fakih MG, Sharma M, et al. Time to Positivity in Staphylococcus aureus Bacteremia: Possible Correlation with the Source and Outcome of Infection. Clinical Infectious Diseases. 2005;41(5):594-8. 

  6. Pan F, Zhao W, Zhang H. Value of Time to Positivity of Blood Culture in Children with Bloodstream Infections. Canadian Journal of Infectious Diseases and Medical Microbiology. 2019;2019:1-6. 

  7. Lai CC, Wang CY, Liu WL, Cheng A, Lee YC, Huang YT, et al. Time to blood culture positivity as a predictor of drug resistance in Acinetobacter baumannii complex bacteremia. Journal of Infection. 2011;63(1):96-8. 

  8. Marco DN, Soriano À, Herrera S. Further considerations on the clinical applicability of time to positivity as a prognostic tool for catheter-related Pseudomonas aeruginosa bloodstream infections. Crit Care. 2025;29(1):143. 

  9. Xu H, Cheng J, Yu Q, Li Q, Yi Q, Luo S, et al. Prognostic role of time to positivity of blood culture in children with Pseudomonas aeruginosa bacteremia. BMC Infect Dis. 2020;20(1):665. 

  10. Liao Y, Deng X, Xiao H. Further considerations on the clinical applicability of time to positivity as a prognostic tool for catheter-related pseudomonas aeruginosa bloodstream infections. Crit Care. 2025;29(1):94. 

Liste des abbréviations : 
  • DTP : Differential Time to Positivity — Différence de temps de positivité entre les hémocultures périphériques et centrales

  • IC95% : Intervalle de Confiance à 95 %

  • OR : Odds Ratio 

  • ROC : Receiver Operating Characteristic 

  • TTP : Time to Positivity — Temps de positivité d’une hémoculture


CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par : Bertrand Drugeon, MD, PhD (cand.) Service des Urgences SAMU SMUR – CHU de Poitiers Inserm U1070 PHAR 2 – Université de Poitiers.

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