« VNI, vidi vici ! » La ventilation non invasive (VNI) améliore la préoxygénation lors de l'intubation en urgence chez les patients de soins critiques.

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Noninvasive Ventilation for Preoxygenation during Emergency Intubation, K.W. Gibbs, M.W. Semler, B.E. Driver, K.P. Seitz, et al., NEJM juin 2024. DOI: 10.1056/NEJMoa2313680

 

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Question évaluée :

La préoxygénation par ventilation non invasive (VNI) comparée au masque à oxygène permet-elle de réduire l’incidence de l’hypoxémie au cours de l’intubation en urgence chez les patients de soins critiques ?

Type d’étude : 

Essai randomisé, multicentrique, sans aveugle, en groupes parallèles.

Population étudiée : 

Patients adultes de soins critiques nécessitant une intubation trachéale en urgence dans 17 unités de soins intensifs et 7 services d’urgences au sein de 15 hôpitaux américains.

Méthode : 

Les patients nécessitant une intubation en urgence, quel que soit le niveau d’hypoxémie, étaient randomisés en 1 pour 1 pour recevoir une préoxygénation d’au moins 3 minutes soit :

  • Par VNI réglée avec une aide inspiratoire d’au moins 10 cmH2O, une pression expiratoire positive (PEP) d’au moins 5 cmH2O et une FiO2 de 100%
  • Par masque à oxygène avec un débit d’oxygène d’au moins 15 litres/min. Le choix d’un masque à réserve ou d’un ballon auto-remplisseur à valve unidirectionnelle (BAVU) était laissé à la discrétion du clinicien

Le critère de jugement principal était l’hypoxémie, définie par une saturation pulsée en oxygène (SPO2) inférieure à 85%, entre l’induction de l’anesthésie et deux minutes après l’intubation trachéale.

Le critère de jugement secondaire était la saturation la plus basse entre l’induction de l’anesthésie et deux minutes après l’intubation.

Des analyses exploratoires étaient réalisées sur les évènements hémodynamiques péri-intubation : hypotension artérielle, arrêt cardiaque ou utilisation de vasopresseurs.

Les critères de sécurité concernant l’utilisation de la VNI avec PEP s’intéressaient à la survenue d’une inhalation visualisée lors de l’intubation ou d’une pneumopathie d’inhalation définie par un retentissement clinique sur l’oxygénation ou l’apparition d’un infiltrat radiologique dans les 24 heures suivant l’IOT.

Résultats essentiels :
  • 4567 patients étaient éligibles mais 3161 ont été exclus principalement car l’intubation était jugée trop urgente pour attendre la randomisation ou parce qu’une VNI était déjà en place. Au total 645 patients ont été inclus dans le groupe VNI et 656 dans le groupe masque à oxygène.
  • 73.2 % des intubations étaient réalisées en soins intensifs et 85.9% étaient réalisées par un interne ou un assistant expérimenté (50 procédures en médiane), réanimateur ou urgentiste majoritairement. Une insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique était présente chez 45.6% des patients dans le groupe préoxygénation VNI vs 50.6% des patients dans le groupe préoxygénation au masque à oxygène. Par ailleurs, les patients étaient décrits en encéphalopathie au moment de l’inclusion chez respectivement 60% et 58.1%.
  • Une hypoxémie survenait chez 57 des 624 patients (9.1%) du groupe VNI vs 118 des 637 patients (18.5%) du groupe masque à oxygène avec p<0.001. A noter que les données de saturation en oxygène manquaient pour 40 patients.
  • L’effet bénéfique de la VNI sur la survenue de l’hypoxémie était plus important chez les patients obèses.
  • Un arrêt cardiaque survenait chez 1 des 645 patients (0.2%) du groupe ventilation non invasive versus 9 des 656 patients (1.1%) du groupe masque à oxygène sans différence statistiquement significative.
  • L’inhalation survenait chez 6 des 645 patients (0.9%) du groupe VNI versus 9 des 656 patients (1.4%) du groupe masque à oxygène sans différence significative.
Points forts :
  • Il s’agit d’une étude multicentrique pragmatique de grande taille avec un large éventail de contextes cliniques chez des patients de soins critiques (Urgences et Réanimation).
  • La taille de l’échantillon permet d’obtenir des résultats statistiquement significatifs ce qui n’étaient pas le cas des deux études prospectives antérieures s’intéressant à cette thématique de la VNI en préoxygénation réalisées sur des effectifs plus restreints (57 et 201 patients respectivement) (1, 2). Ces résultats sont significatifs sur tous les sous-groupes prédéfinis.
  • La conception multicentrique avec une majorité de patients intubés en soins critiques permet une généralisation pour notre pratique clinique courante avec une implication clinique claire en faveur de la VNI.
  • Le principal frein à l’utilisation de la VNI en préoxygénation rapporté dans la littérature est que la pression positive pourrait favoriser le risque d’inhalation. Cette étude vient conforter les résultats des études antérieures infirmant cette hypothèse (1, 2, 3).
Points faibles :
  • Cette étude ne pouvait être réalisée en aveugle.
  • Il existe une variabilité potentielle dans l'application des techniques de préoxygénation notamment sur les réglages de la VNI. De plus, dans le groupe masque à oxygène, le choix du mode d’oxygénation était laissé à la discrétion du praticien. Par conséquent, 87.7% des patients ont été préoxygénés avec un masque à oxygène et non au BAVU (seulement 13.7% des patients). Finalement, le résultat concernant le critère de jugement principal est donc la comparaison d’un groupe de préoxygénation par VNI vs un groupe de préoxygénation au masque à haute concentration pour lequel une fraction inspirée en oxygène ne peut atteindre 1. La survenue plus fréquente d’une hypoxémie dans le groupe d’oxygénation standard est-elle réellement une surprise ?
  • L’interprétation des résultats est limitée par l'exclusion des cas nécessitant une intubation immédiate pour lesquels la randomisation n'était pas possible. De même 389 (8.5%) patients ont été exclus car ils présentaient un vomissement ou une hématémèse ou une épistaxis et 38 (0.8 %) ont été exclus car jugés à haut risque d’inhalation ; l’efficacité et la sécurité de la VNI ne peut donc pas être extrapolée à ce groupe de patients à haut risque d’inhalation.
  • Cet essai n’évalue pas l’effet de l’oxygène à haut débit (OHD) au cours de l’intubation seul ou en association à un masque à oxygène. L’effet de l’OHD en préoxygénation avait montré sa non infériorité par rapport à la VNI sur la survenue d’une hypoxémie sévère durant l’intubation (4). Une étude prospective multicentrique avec 3 bras : VNI, OHD et OHD + masque à oxygène en préoxygénation serait intéressante.

L’étude ne montre pas de réduction significative du nombre d’arrêts cardiaques à l’intubation grâce à une préoxygénation par VNI, or c’est la complication péri-intubation qui grève le plus le pronostic des patients de réanimation (5). Cela est peut-être dû au fait que les patients étaient peu hypoxémiques avant l’induction.

Implications et conclusions :

L’étude démontre une réduction significative de l’hypoxémie avec l’utilisation de la VNI pour la préoxygénation avant l’intubation trachéale en urgence chez les patients de soins critiques.

Les résultats suggèrent que la VNI pourrait également réduire l’incidence des arrêts cardiaques à l’intubation.

La préoxygénation par VNI, qui est proposée dans les recommandations de la société française de réanimation en langue française (6), pourrait être considérée comme une pratique standard pour réduire le risque d’hypoxémie et potentiellement prévenir la survenue de complications péri-intubation chez les patients de soins critiques nécessitant une intubation trachéale. Cette étude souligne l'importance de repenser les protocoles de préoxygénation actuels dans les unités de soins intensifs et d'urgence.


 

Références cités dans les commentaires

  1. Baillard C, Prat G, Jung B, et al. Effect of preoxygenation using non-invasive ventilation before intubation on subsequent organ failures in hypoxaemic patients: a randomised clinical trial. Br J Anaesth 2018;120:361-7.
  2. Baillard C, Fosse J-P, Sebbane M, et al. Noninvasive ventilation improves preoxygenation before intubation of hypoxic patients. Am J Respir Crit Care Med 2006; 174:171-7.
  3. Casey JD, Janz DR, Russell DW, et al. Bag-mask ventilation during tracheal intubation of critically ill adults. N Engl J Med 2019; 380: 811-21.
  4. Frat J-P, Ricard J-D, Quenot J-P, et al. Non-invasive ventilation versus high-flow nasal cannula oxygen therapy with apnoeic oxygenation for preoxygenation before intubation of patients with acute hypoxaemic respiratory failure: a randomised, multicentre, open-label trial. Lancet Respir Med 2019; 7: 303-12
  5. Russotto V, Myatra SN, Laffey JG, et al. Intubation practices and adverse peri-intubation events in critically ill patients from 29 countries. JAMA 2021; 325:1164-72
  6. Quintard H, l'Her E, Pottecher J, et al. Experts' guidelines of intubation and extubation of the ICU patient of French Society of Anaesthesia and Intensive Care Medicine (SFAR) and French-speaking Intensive Care Society (SRLF) : In collaboration with the pediatric Association of French-speaking Anaesthetists and Intensivists (ADARPEF), French-speaking Group of Intensive Care and Paediatric emergencies (GFRUP) and Intensive Care physiotherapy society (SKR). Ann Intensive Care. 2019 Jan 22;9(1):13. doi: 10.1186/s13613-019-0483-1. PMID: 30671726; PMCID: PMC6342741

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Pr Nicolas Terzi et Dr Flora Delamaire, Médecine Intensive Réanimation, CHU de Rennes.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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